Souveraineté alimentaire : un sujet grave au Sud… comme au Nord !

Publié le par GAC Nivelles

(Extrait de "Construire une Ecorégion, ou comment restaurer la souveraineté alimentaire des régions françaises et européennes" - Christophe Bellec)

D’ordinaire, dès que l’on parle de reconquête de la souveraineté alimentaire, notre esprit pense immédiatement à une problématique frappant seulement les pays du Sud.

Un mauvais réflexe qu’il va falloir oublier, car les pays du Nord sont tout autant concernés par le sujet. En effet la souveraineté n’est pas une histoire de volumes de production pris dans sa globalité : c’est avant tout un problème d’adéquation à l’échelle d’un territoire entre une production agricole et alimentaire et les besoins de sa population, besoins pris dans leur diversité qualitative.
Dit de manière raccourcie, un terroir doit savoir nourrir son terroir de la fourche à la fourchette.

Rien ne vaut un bon exemple pour illustrer une situation. Prenons celle du Limousin, car elle est...exemplaire.
L’image qu’ont sans doute l’immense majorité des personnes est celle d’une région verte et fortement rurale. Une image tout à la fois réelle et trompeuse :
- réelle parce que le Limousin produit bien plus que sa consommation locale en terme de volumes de produits agricoles et alimentaires ;
- trompeuse parce que son niveau réel de souveraineté alimentaire ne dépasse pas… 10% !

Une dépendance alimentaire organisée à l’échelle mondiale

Comment diable peut-on expliquer un tel (grand) écart ?
Une analyse de l’ensemble de la filière agricole et alimentaire limousine permet de comprendre ce qui ressemble à une « descente aux enfers » dans la dépendance alimentaire.

Il faut déjà s’arrêter sur la production agricole locale, et ne plus regarder en volume mais en répartition par famille de produit.
On voit alors tout de suite la nature de l’agriculture limousine : celle d’une production hyperspécialisée basée sur trois produits, le bovin, la pomme et l’ovin, massivement développés pour l’export.
Pour le reste, c’est un peu « sauve qui peut » puisqu’elles sont toutes en diminution plus ou moins marquée.

Si le blé tendre (131% de taux d’indépendance alimentaire, TIA) et la production de lait (TIA 78%) s’en sortent encore, les oeufs (TIA 24%), les pommes de terre (TIA 23%, divisé par 7 en 30 ans !), les fruits hors pommes (TIA 18%) sont à des niveaux faibles.
Quant aux légumes frais (TIA 8% !) ou secs (TIA 1%), la volaille (TIA 10%) ou le blé dur pour les pâtes (TIA à 0%), la situation est alarmante.

Quant on fait l’adéquation globale entre besoins de la population et la production locale, on ne dépasse pas 52%. Mais cela ne fait que commencer…

Comment en est-on arrivé là ?

L’origine d’une telle situation dépasse le Limousin, puisqu’elle est à chercher dans la politique agricole mondiale, et c’est ici que Nord et Sud se retrouvent. Dès sa création en 1994, l’OMC a fait du dossier agricole l’une de ses priorités de libéralisation des marchés à l’échelle mondiale.

En Europe, les pays du Nord se préparent à cette perspective douloureuse pour leurs agriculteurs. la PAC (politique agricole commune) s’est orientée dès le milieu des années 80 dans la voie de la productivité, c’est à dire de l’agrandissement permanent des exploitations agricoles et de la concentration hyperspécialisée des productions à l’échelle de régions entières.
Le Limousin n’a pas fait autre chose : il s’est lancé dans la course à la compétitivité en ne se concentrant que sur le bovin, la pomme et le mouton. Quant aux autres produits, on comptera sur les autres régions, qu’elles soient voisines… ou à l’autre bout de l’Europe, voire du monde.

Transformation et distribution sont les deux lamelles de la coupe

44% d’autonomie, ce n’est que pour la production, car produire n’est pas tout : pour un grand nombre de produits, même les plus simples, il faut aussi transformer, préparer, mettre en conserve, abattre ou découper. On se retrouve dans le secteur de la transformation et des industries agroalimentaires.

Et c’est ici que le grand bal commence, car il n’y a rien de systématique entre la présence d’une production et la proximité des transformateurs associés.
Une illustration simple : le Limousin produit du lait mais dispose de peu d’ateliers de fabrication de fromages, de beurre ou de yaourts, et une part conséquente du lait quitte alors la région.

Plus frappant encore est la situation dans sa filière phare, le bovin.
Car ce que produit avant tout le Limousin ce n’est pas de la viande, mais du broutard, du bovin sur pattes qui prend la direction de l’Italie pour finir son engraissement, être abattu, transformé puis revendu, en Europe comme en France.
Raison : ça coûte moins cher en global, la filière italienne étant structurée depuis longtemps de manière industrielle et elle n’hésite pas à utiliser des pratiques de dumping social dans ses ateliers.
Même en produisant près de 7 fois sa consommation de viande bovine, la région arrive tout juste à être autonome sur sa transformation.

C’est à l’étape suivante qu’est apporté le coup de grâce à la souveraineté alimentaire réelle, par le biais des circuits de distribution et de vente.
On tombe ici sur un problème qui dépasse le Limousin : ce n’est pas parce qu’un produit alimentaire est récolté ou fabriqué dans une région qu’il va réussir à y être commercialisé et consommé.
Les circuits courts de distribution, même s’ils existent (marchés, vente directe), sont marginaux en volume face à la grande distribution qui contrôle désormais près de 90% du commerce de détail en France avec 5 centrales d’achat seulement. Même les épiceries de quartier ont du mal à leur échapper.

L’obsession de ces centrales d’achat est claire : le prix, le prix, le prix.
Elles s’en défendent en disant que c’est aussi celle de ses clients consommateurs, un argument qui n’est pas faux mais dissimule mal le fait qu’ils ne parlent pas du même prix : c’est le prix d’achat aux fournisseurs qui ne cesse de descendre, mais pour ce qui est du prix de vente, rassurez-vous, il a plus de mal à suivre le mouvement…
Une telle pression sur les fournisseurs ne peut qu’accélérer la concentration industrielle des groupes agroalimentaires, ce qui explique aussi pourquoi le tissu agro-industriel de certaines régions comme le Limousin se restreint, voire se délite.

Transformation et grande distribution : en deux « coups de lame », voici la souveraineté alimentaire du Limousin rasée de près et ne dépassant plus les 10% dans la réalité quotidienne du contenu des assiettes.
Vous l’avez compris, cette situation est bien sûr partagée par la plupart des autres régions françaises et d'Europe de l'Ouest, parfois meilleure, parfois pire.
Il s’agit bien d’un problème à l’échelle mondiale, une forme de « désorganisation » très bien organisée.

Pour avoir une petite idée de notre degré de dépendance alimentaire, il suffit de constater à quelle vitesse nos étals de fruits, légumes et viandes peuvent se vider et ne plus se remplir lorsque les transporteurs décident de se mettre en grève plusieurs jours...

Publié dans Séjour en Absurdie

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